Les interventions successives de Dominique FAJNZANG à Thouars ont été étalées sur plusieurs semaines. Une mise en espace de son travail plastique à l'intérieur de la Chapelle Jeanne d'Arc a été accompagnée par des moments forts, des performances présentées par l'artiste elle-même. Son discours échappe à une définition unitaire de la création . Pour rendre compte des implications du corps, de la mémoire et de l'espace dans son oeuvre, il fallait surtout trouver un moyen d'en prendre soin et de lui consacrer suffisamment d'attention et de temps. Le pari a été tenu et sa présence à la Chapelle Jeanne d'Arc a témoigné autant d'une qualité du travail de l'artiste que d'une grande maturité du projet artistique de l'association Studio.

Thomas KOCEK Conseiller pour les Arts Plastiques DRAC Poitou Charentes


L' ORIGINE DE LA PEINTURE

Les manifestations artistiques contemporaines font l'objet de distinctions qui privilégient le médium: soit c'est de la peinture, soit de la sculpture, de la photographie: la transversalité s'y décline par le multimédia, reste l'évènement, l'éphémère performance où tout est dit artistiquement, hors de tout dispositif muséal. L'art de Dominique Fajnzang traverse toutes ces références sans s'y arrêter, sinon pour revenir à l'origine, l'ombre de l'amant, que le premier peintre, une femme, fixa sur un mur: autrement dit la peinture, l'image portée par un support. Dominique Fajnzang agit dans cette origine, ramène l'acte de peindre à son sujet, ne livre pas son corps à la peinture, mais fait porter l'espace, la couleur, la lumière, à son corps. Les effets sensibles se détachent, dans ses mouvements, par couches successives, et restent là, tout naturellement, comme traces d'une relation vivante à la nature minérale ou végétale. Elle rassemble, dans ses actes artistiques aussi bien le réalisme des empreintes de Klein, que les assemblages artifices et nature de Pénone, dans un développement de la toile dont Christo emballait arbres et monuments. Ce qu'elle fait alors apparaître, c'est en quoi toute chose, en son état, est disponible, ouverte à sa propre origine, une naissance, par quoi elle est mise au monde.

Jean-Marc Bermès Lieu dit "Jérusalem" le 9 Octobre 2000


L'INSTALLATION

Mon travail s'articule autour de l'idée de l'espace et du corps. Organisation de l'espace - perturbation de l'espace - espace physique - espace mental - espace de la mémoire - espace du temps. Il s'agit d'une exploration des différents espaces dans lesquels nous nous tenons et comment se situe le corps à l'intérieur de ces espaces. Comment les espaces s'ouvrent, se dilatent, se replient, comment s'effectue le mouvement de va et vient entre intérieur et extérieur, comment se respire le monde, où se place l'espace d'intimité ?
Autant de questions, autant d'installations. Mes matériaux privilégiés sont le minéral, le végétal, la toile d'acier, le miroir, la tige de carbone, l'image par la photographie, le son.


Courbes et détours - Château de la Roche Jagu

ou comment penser le paysage par la ligne...

J'aborde le rapport au paysage par la cartographie et plus précisément par un ample dessin de courbes de niveaux . La courbe de niveau étant une ligne imaginaire, elle me paraît adéquate et fondée pour réfléchir à notre rapport au paysage qui est un rapport construit et culturel.

La carte géographique a toujours été une « machine à rêver », elle est notre représentation conceptuelle du paysage et en ce sens, construit le réel plus qu'elle ne le représente.

En optant pour une création autour de la courbe de niveau, je choisis de proposer une évocation du paysage plus que la représentation du paysage.

Il s'agit de déployer comme une promenade, un voyage à travers le paysage. La courbe de niveau, ligne imaginaire par excellence me permet d'emblée de situer mon travail dans un imaginaire du paysage. Il s'agit de proposer un éventail de signes afin que le visiteur puisse lui même recréer son propre paysage et la relation au paysage.

Les courbes de niveaux renvoient à une multitude d'images gravitant autour du paysage, bien sûr cartographie, mais autant vallonnements que méandres, sillons, flux et reflux, dessins de vagues sur le sable, ondulations des herbes sous le vent, tout ce qui participe justement de la représentation mentale du paysage .


Imago Mundi ... Suite pour des lignes

Les tiges tendues dans l'espace renvoient aux lignes imaginaires que sont méridiens, latitudes, longitudes, et participent à ce que je nommerai un « sentiment spatial ». Il s'agit d'une « imago mundi », dans laquelle les bulles de savon qui volent sont autant là pour évoquer le monde en mouvement, en quelque sorte un mouvement spatial, que l'éphémère de la vie. Les lignes sont noires et grises, la couleur est toute concentrée dans les bulles, n'existe qu'en elles, et n'advient que par la lumière et le souffle qui crée ces bulles.

Certaines bulles voltigent déjà mais le visiteur est invité à souffler ses propres bulles dans l'espace de l'installation et à participer ainsi à la création de cette « imago mundi .


Tréméloir, un village, des noms, des pommes

Mon travail, reposant essentiellement sur la relation à l’espace, le projet “ma pomme” concilie une double volonté d’appropriation de l’espace et d’intégration du vivant. Comment se représenter l’espace d’un village, sa respiration, comment explorer la vie qui en sourd et sa relation à la nature qui l’entoure.
Parler des gens, dire les gens, c’est dire leur nom. Le nom est collé à la personne plus que tout autre chose, plus qu’un objet, plus qu’une maison.
Gravé sur les pierres, le nom est encore là pour signaler la mémoire des gens, pour témoigner de ce qu’il y eût une vie. Alors le village est cet agglomérat de noms . Comme les pierres s’agglomèrent pour façonner l’église, les noms s’égrènent autour d’elle pour façonner le village et s’étirent horizontalement autour d’autres noms, celui qui dit les lieux: les lieux dit.
Alors je demanderai à chaque habitant d’écrire son nom sur une page blanche, et toutes ces pages. Toutes graphies confondues, accrochées à une toile d’acier déployée, et écrites en lettres minuscules ou majuscules, puisqu’autant la vie se décline sous ces deux formes , évoqueront un certain espace du village, traversé par le vivant. Espace reconstruit : espace physique et espace mental.

Et puis il y a les pommes. Arbre banal mais arbre fruitier par excellence, arbre mythique, arbre de la connaissance, le pommier est indissociable du paysage breton.

Il évoque une terre nourricière, et introduire la pomme dans l’installation c’est évoquer les maillages qui se tissent entre les hommes et le milieu qui les entoure. Maillages du végétal, maillages du mythe et des récits, maillages de couleurs . En effet chaque personne est invitée à choisir une couleur de pomme et toutes ces couleurs seront comme la palette du village.

Dans ce projet, la rencontre avec les habitants tient lieu de “performance”. A nouveau, j’utilise mon corps comme médium pour amener le projet, pour associer ces autres corps à mon installation puisqu’autant “le monde est fait de l’étoffe même du corps” (Merleau-Ponty). Rencontres, récits, histoires s’écrivent en creux dans le silence des pages blanches.


La palpitation des pierres - Carrière de St Agnan

Mon travail de sculpture utilise principalement les matériaux suivants: pierre, toile d’acier et tiges d’acier. La pierre est brute.

Mon travail repose essentiellement sur les notions d’ Intérieur- extérieur,
vide et plein, ouvert - fermé, et vise à créer autant une œuvre qu’un espace vivant. L’utilisation de la toile d’acier, matériau semi-transparent, semi-rigide, me permet de créer et d’orienter des espaces d’intériorité et d’intimité mais néanmoins entièrement ouverts sur le monde extérieur, et d’établir ainsi une circulation entre ces deux mondes. la sculpture est un lieu d’interpénétration entre un dehors et un dedans et la toile d’acier peut apparaître comme une “ fenêtre” permettant le passage. L’espace intérieur n’est jamais totalement fermé, il participe entièrement de l’espace extérieur; de la même façon l’espace extérieur est présent et perçu physiquement dans l’espace intérieur.

C’est ce mouvement d’échange et de rencontre qu’il m’intéresse d’explorer, et ce, autour du matériau de la pierre, matériau opaque, fermé, “ tourné sur lui même “, lourd, offrant un noyau résistant. La pierre, avec sa densité, sa masse permet d’“activer” l’espace autour d’elle, un peu à l’image du noyau de l’atome et des électrons qui gravitent autour de lui.

Les tiges d’acier ont un rôle structurant. Elles sont comme un segment visible des lignes imaginaires qui sous-tendent le monde, tropiques et méridiens, parallèles et horizon; comme un segment visible des lignes géométriques qui construisent l’espace, le pensent. Ces lignes nous situent dans un ensemble structuré où la verticalité, résultante du centre de gravité, vient croiser l’horizontalité, résultante du regard, lorsque l’oeil rencontre la surface du monde.

La carrière

Dans ce travail, l’intérêt que je porte à la pierre n’est en aucune sorte le travail de la pierre, entendu au sens classique, façonnage, modelage, c’est à dire donner une forme, faire acte de création formelle. Mon intérêt réside dans la pierre brute, dans la matière pierre, dans la relation qu’elle entretient avec d’autres matériaux, et aller au lieu même d’où l’on extrait la pierre, “oeuvrer” dans la carrière me permet d'énoncer plus clairement mon objectif, m’apparaît plus pertinent. C’est également une démarche qui vise plus à montrer le processus de création que l’objet produit, l’artefact.

Cette démarche me permet d’argumenter autour de l’idée que regarder, choisir, déplacer appartiennent au processus de création. Il s’agit en installant la toile et les tiges d’acier autour de certaines pierres, l’organiser l’espace, de créer des lieux d’intériorité et d’intimité dans un espace entièrement ouvert, entièrement libre, presque “sauvage”, entièrement “ lieu d’espace “.

La carrière me permet de poser la question essentielle du vide et du plein d’une façon autrement agressive que dans un espace muséal. Elle est un lieu idéal pour confronter des espaces, créer des relations, des déplacements, assister à la “mise à l’oeuvre “.


Le printemps au Musée

J'utilise l'image commune du printemps et son vocabulaire végétal, sonore et odorant pour présenter dans une mise en abîme de miroirs, une image sensible du temps. Espace et temps fusionnent entre ces miroirs où s'accrochent fils d'acier, feuilles et perles et où ricoche la lumière qui dessine sur les murs les ombres des feuilles.

Le thème du printemps est exploré selon les grandes lignes de la peinture "classique" avec ses éléments constitutifs que je fais entrer physiquement dans l'espace du musée. Les puits de feuilles qui s'étirent dans les miroirs évoquent l'infini des printemps contenu dans le Temps. et le visiteur s'apercevant dans le vertige des miroirs voit son image s'amenuiser dans l'espace du temps. Les photographies des arbres prises en hiver sont autant le devenir que la mémoire de l'arbre.

Cette installation joue également de l'image du printemps vue comme un "bouleversement des sens" en proposant une perception de l'espace perturbée, où le ciel est sous nos pieds tandis que la terre et les arbres s'accrochent au-dessus de nos têtes.


Autoportrait

Au sol, sont éparpillées parmi les gravillons,des photographies représentatives des diverses étapes de la vie d'une femme. Images reflétées puis disparues dans tous les miroirs que tendent la vie.
S'y mêlent des bris de cadre. Les fragments de miroir, quant à eux renvoient aussi bien les images des photos que les images de l'entourage de l'installation. Réflexion sur la construction d'une identité, dans le mouvement pendulaire du monde intérieur et du monde extérieur.


PERFORMANCE

L'oeuvre est le fruit de la rencontre du monde extérieur et d'un monde intérieur.
Elle est aussi le fruit de cette rencontre avec mon corps,
"cette sentinelle qui se tient silencieusement sous mes paroles et sous mes actes".

Inscrire mon corps dans une installation c'est déployer le corps dans l'espace,
c'est impliquer la chair dans la création, ce corps qui appartient à "un seul et même réseau de l'être".

Puisqu' autant "le monde est fait de l'étoffe même du corps".

Citations de M. Merleau-Ponty.